Le dispositif pédagogique « le cercle d’étude » dans le contexte d’un dispositif apprenant au lycée, analysé par la recherche.
L’équipe du LéA Lycée H. Parriat – Montceau-Les-Mines (DECLAM) propose, dans cet article, d’analyser le dispositif pédagogique « cercles d’étude » (Kaplan, 2013), ayant pour thème les religions, au sein du dispositif de formation DECLAM (Développement Épanouissement Collectif Lien Autrement Mixité).
Cet article a été réalisé en regard avec celui publié dernièrement « La naissance d’un dispositif pédagogique – le cercle d’étude – dans le contexte d’un dispositif apprenant au lycée. Retour sur une collaboration avec la recherche. » [1], co-écrit par l’équipe DECLAM, Alexandre DEMURGER, Mathieu GILLOT, Anne LAMBOROT, Yves LEBLANC.
L’analyse prendra appui sur les travaux de Hirsch et Moisan (2022) qui ont déterminé quatre dimensions autour desquelles un thème sensible, ici les religions, semble s’articuler ; l’ouvrage « Participer : Essai sur les formes démocratiques de la participation » (Zask, 2011) et les quatre postures de Kelly (1986) permettant de définir l’engagement en termes de posture de l’enseignant.
Aborder la question des religions dans l’espace que crée le cercle d’étude c’est tenter d’articuler les dimensions éthique, pédagogique, politique et sociale que Hirsch et Moisan (2022) ont déterminé, dans le cadre d’un projet de recherche, à partir de témoignages expérientiels d’enseignants du secondaire afin de mieux comprendre ce qui rend un thème sensible.
Dans sa dimension éthique, le cercle d’étude voit les élèves, les trois enseignants et la CPE se confronter aux valeurs mobilisées et aux représentations sociales (Hirsch et Moisan, 2022) des uns et des autres en termes de liberté de croire ou ne pas croire ; d’ouverture, de respect et de reconnaissance de l’autre, des autres cultes.
Dans sa dimension pédagogique, le cercle d’étude considère que tous et toutes ont des connaissances, des savoirs théoriques et des savoirs d’expérience sur le thème traité. Au sein de cet espace de discussion et de partage entièrement dégagé, où les chaises sont disposées en cercle et qui, au centre, voit le collectif comme (res)source des apprentissages, élèves, enseignants et CPE ont le même « statut » ; dans cette horizontalité, chacun a le droit de transmettre.
Dans ce contexte de communauté d’apprentissage (Cristol, 2017), cette forme géométrique et symbolique de l’égalité de parole et la dignité de chacun de prendre sa place dans le groupe et le savoir qui place tous les acteurs au même niveau et à la même distance du centre, dessine physiquement l’évolution du rapport au savoir de chacun par une redéfinition physique des places et des rôles, et est un indicateur du projet implicite d’émancipation de la forme scolaire (Vincent, 1980).
Cela demande un engagement de chacun permettant de réguler son comportement et de contrôler ses émotions. Cet engagement, va bien au-delà de la motivation des apprenants puisque c’est le groupe qui se mobilise pour construire un savoir commun, favorisant ainsi, comme l’écrit Kaplan (2013), une intelligence collective qui développe :
1) le sentiment d’efficacité personnelle de chacun (Bandura, 2014) : en tant qu’élève, en reconnaissant ses croyances en son efficacité, en tant qu’enseignant ou CPE en reconnaissant ses croyances en son efficacité à mobiliser les connaissances, savoirs d’expérience et savoirs théoriques chez les élèves ;
2) le sentiment d’efficacité collective permettant au groupe (élèves, enseignants, CPE), apprenant de et par lui, de progresser. La complexité du thème fait donc appel à des connaissances nécessitant un traitement interdisciplinaire (Hirsch et Moisan, 2022).
Figure 1.
Du point de vue de la dimension politique, on peut considérer que ce mode d’organisation, basé sur l’échange, la discussion et l’interaction entre élèves enseignants et CPE, fait émerger une « communication horizontale », permet de dire, regarder et écouter (et pas seulement de parler, voir et entendre) et que l’espace défini par le cercle d’étude permet à chacun de participer (figure 1) :
1) en y étant actif en prenant part (et non seulement en faire partie) et en Collaborant il fait « apparaître le point commun qui est la raison d’être » (Zack, 2011, p.151) du cercle ;
2) en y contribuant, tout en reconnaissant individuellement l’autre de sa contribution (apporter sa part) conduit les participants « à s’engager vis-à-vis de ce point commun » (ibid.) au sens participatif comme « cette zone fluctuante dont les contours sont définis par l’assemblage des positions personnelles » (Zack, 2011, p.175) ;
3) en partant de l’expérience individuelle de celui qui prend part au cercle d’étude (élève, enseignant, CPE) dont les connaissances bénéficieront de l’apport des autres et de leurs contributions reconnues (recevoir une part) voit la contribution (individuelle ou personnelle) prise en considération par ceux et celles à qui elle est adressée.
Les enjeux des croyances et de leur place individuelle (morale), collective (civique) dans l’espace sociétal et la façon dont chacun se voit et vit dans cet espace, la compatibilité des religions avec les lois de la République française (qui « a la priorité » ? La religion ou les lois ?) interpellent le vivre ensemble et les enjeux de rapports de pouvoir (Hirsch et Moisan, 2022)
Enfin sa dimension sociale rappelle ce que cela demande de vivre dans un espace multicultu(r)el et démocratique, où savoirs théoriques et d’expérience et connaissances se vivent et se rencontrent en ayant une expression distincte.
Chacun évolue dans un contexte pluriel qui ne fait pas consensus (Hirsch et Moisan, 2022), car au sein de ce dispositif circulaire de discussion et de partage, dans cette horizontalité des statuts, se pose la question de la neutralité des enseignants et de la CPE.
Pour avoir une idée de ce que chacun observe de cette neutralité, enseignants et CPE ont analysé le cercle animé en binôme, mais aussi celui animé par l’autre binôme, à partir des captations vidéo des cercles conduits avec pour consigne « Pendant le visionnage de la captation vidéo du cercle d’étude, la posture de l’enseignant sera observée et le tableau (figue 2) complété ».
Les 18 affirmations sont issues de la grille d’analyse des caractéristiques d’une posture à visée transformatrice critique et d’une posture transmissive (adapté de Jeziorski, 2014) et présentées sous forme de liste, pour chacune d’elles est proposée une échelle de Likert permettant d’exprimer son degré d’accord ou de désaccord (de 0 à 10). A l’issue du visionnage et de la complétion du tableau, il leur a été demandé de choisir une définition (tableau ci-dessous) répondant à la consigne suivante : « Suite au visionnage, pour vous, durant le cercle d’étude : »
Chaque définition correspond à une « posture enseignante » (Kelly, 1986) qui sont au nombre de quatre :
1) la neutralité exclusive : l’enseignant ne doit pas aborder de thèmes sensibles, les sciences étant vérités exemptes de valeurs, les savoirs « objectifs » il ne fait pas de place, dans le cadre de son enseignement, à la controverse ;
2) la partialité exclusive voit l’enseignant conduire intentionnellement et délibérément les élèves afin qu’ils adoptent un point de vue particulier sur une question controversée, privilégiant certaines valeurs sociales, comme celles promues par l’École ;
3) l’impartialité neutre : tandis que les élèves doivent être impliqués dans le débat et exprimer leur point de vue sur une question controversée, l’enseignant, quant à lui, reste neutre, ne s’engage pas dans le débat et donc ne dévoile son point de vue ;
4) l’impartialité engagée : l’enseignant donne son point de vue sincèrement (sans tourner en ridicule celui des autres), devenant ainsi exemplaire, et le cadre souhaité et souhaitable pour la discussion, tout en favorisant l’analyse des points de vue, légitimes, en compétition sur les controverses.
La neutralité exclusive et la partialité exclusives laissent peu de place à la pluralité des points de vue et ne sont pas pertinentes pour aborder des thèmes sensibles émanant de l’espace multicultu(r)el et démocratique de la société dans leur dimension sociale (Hirsch et Moisan, 2022). Elles font encourir le risque de tensions autour des rapports de pouvoir, dans leur dimension politique, que ces thèmes soulèvent (ibid.) et de voir se confronter élèves et enseignants en reconnaissant seulement certaines valeurs et certaines représentations sociales dans leur dimension éthique (ibid.). Quant à l’impartialité neutre et l’impartialité engagée, elles installent un climat équilibrant dans la présentation de l’objet d’étude en cercle.
Un consensus apparait entre les enseignants et la CPE concernant les items 7-13-14-15-16 et 18 (de 7,63 à 8,88 sur échelle de Lickert) chacun étant presque tout à fait d’accord avec l’affirmation que les enseignants ou la CPE favorisent l’émergence des propositions d’actions venant de la part des élèves (7,63) ; favorisent la prise de conscience des influences idéologiques qui orientent les manières de voir le monde (7,88) ; permettent l’intégration de l’incertitude, des controverses et d’interprétations multiples (8,25) ; encouragent le recours aux savoirs de référence dans les moments argumentatifs (8,25) ; encouragent le recours aux savoirs interdisciplinaires (8,38) ; encouragent un regard critique des élèves sur la question (8,38) et font recours à des savoirs d’une discipline (8,88).
Les deux postures observées à l’issue de l’analyse par les trois enseignants et la CPE sont celles de l’impartialité neutre pour un duo (enseignant, CPE) « Les élèves sont impliqués, peuvent débattre ; en revanche l’enseignant ne dévoile pas son point de vue » et de l’impartialité engagée pour l’autre duo (enseignant, enseignant) « l’enseignant donne son point de vue de manière explicite aux élèves mais tout en favorisant l’analyse des différents points de vue en compétition par les élèves ».
On notera, ici, une prise de distance avec les « attendus académiques » concernant l’attitude des enseignants français, qui doit être pensée comme non-imposition de valeurs, marquée qu’elle est par l’impératif de laïcité en termes de neutralité : « Le principe de neutralité du service public est le corollaire du principe d’égalité. Il implique que le service public soit assuré sans considération des opinions politiques, religieuses ou philosophiques des agents ou des usagers. Le service public de l’éducation poursuit l’intérêt général et doit répondre aux missions qui lui sont dévolues en respectant le principe de neutralité dans toutes ses dimensions : neutralité politique, neutralité religieuse, neutralité commerciale. Le respect de ce principe s’impose de façon d’autant plus rigoureuse aux enseignants qu’ils exercent leurs fonctions devant des enfants à l’égard desquels ils se trouvent en position d’autorité »[2]. En soulignant la responsabilité de l’État en matière d’éducation, caractérisée, entre autre chose, par l’intention délibérée de conduire les élèves à adopter un point de vue particulier sur une question controversée, c’est de partialité exclusive dont il est question.
Si l’on considère que la priorité est de définir un projet de société, où l’on vit les uns avec les autres et non les uns à côté des autres, et où chacun s’efforce de contribuer à un projet commun, qui dépasse les appartenances singulières et les intérêts particuliers, on défendra l’engagement des enseignants, dans une posture relevant de l’impartialité engagée, qui favoriseront les controverses tout en donnant leur point de vue, ce qui est le plus à même d’aider les élèves à se construire dans un monde incertain, plutôt que ceux réticents à prendre position et préférant une attitude de neutralité et/ou de partialité exclusive en évitant ainsi certaines questions.
Andrés Merchán González, INSPÉ Centre-Val de Loire, académie d’Orléans-Tours, Responsable du centre de formation, PEMF, correspondant recherche
Bibliographie
BANDURA, A. 2014. Auto-efficacité. Bruxelles : De Boeck
BELLEGARDE, K. LAS VERGNAS, O. CRISTOL, D. 2017. Les communautés d’apprentissage : apprendre ensemble. Revue Savoirs n°43. L’Harmattan.
HIRSCH, S., et MOISAN, S. 2022. Ouvrir une brèche dans le chaos du monde tout en favorisant les apprentissages. Définition, pratiques et tensions inhérentes aux thèmes sensibles en enseignement de l’histoire et de l’éthique. Dans S. Moisan, S. Hirsch, M.-A. Ethier, & D. Lefrançois (Eds.), Objets difficiles, thèmes sensibles et enseignement des sciences humaines et sociales (pp. 61-88). FIDES.
KAPLAN, J. 2013. Cercles d’étude au service d’une intelligence collective.
KELLY, T. E. 1986. Discussing controversial issues: Four perspectives on the teacher’s role. Theory & Research in Social Education, 14(2), 113-138.
LEVASSOR, R. 1937. Manuel pour les cercles d’études, éditions SPED.
PANISSAL, N., JEZIORSKI, A. LEGARDEZ, A. 2016. Une étude des postures enseignantes adoptées lors des débats sur des questions socialement vives (QSV) liées aux technologies de la convergence (NBIC) menés avec des élèves de collège. DIversité REcherches et terrains, (8). https://doi.org/10.25965/dire.786
VINCENT, G. 1980. L’École primaire française. Étude sociologique. Maison des sciences de l’homme.
ZACK, J. 2011. Participer : Essai sur les formes démocratiques de la participation, éditions Le Bord de l’eau.
[1] yleblanc (2024, 29 mai). La naissance d’un dispositif pédagogique – le cercle d’étude – dans le contexte d’un dispositif apprenant au lycée. Retour sur une collaboration avec la recherche. LE BLOG DU RÉSEAU DES LéA-IFÉ. https://doi.org/10.58079/11qpy
[2] 2017. Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Guide pratique pour la direction de l’école primaire, p3
Lien vers leur page sur le site des LéA-IFÉ
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
yleblanc (14 juin 2024). Le dispositif pédagogique « le cercle d’étude » dans le contexte d’un dispositif apprenant au lycée, analysé par la recherche. LE BLOG DU RÉSEAU DES LéA-IFÉ. Consulté le 15 septembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/11tkh
