La naissance d’un dispositif pédagogique – le cercle d’étude – dans le contexte d’un dispositif apprenant au lycée. Retour sur une collaboration avec la recherche.

Cet article se propose de revenir sur la construction d’un nouveau dispositif pédagogique, le cercle d’étude, au sein d’un dispositif apprenant novateur (DECLAM – Développement Epanouissement Collectif Lien Autrement Mixité) et dans le cadre du LéA-IFÉ H. Parriat – Montceau – les – Mines.

En effet la démarche qui a conduit à la découverte, l’appropriation puis la transformation et la mise en œuvre de cet outil se prête à un ensemble de questions qui interrogent l’environnement professionnel et partenarial dans lequel elle s’est inscrite.

Ainsi dans quel contexte le cercle d’étude est-il apparu ? A quelles questions et besoins répond-t-il du point de vue des enseignants ? Comment, dans ce cadre précis, passe-t-il du statut d’objet expérimental à celui de dispositif pédagogique pour finir par s’inscrire dans un projet de formation ? Quels sont enfin les changements que nous avons pu observer sur nos postures et sur notre engagement ?

Le dispositif DECLAM est né d’une expérience déjà ancienne (plus de 10 ans) au lycée Henri Parriat de Montceau les Mines : faire bénéficier une classe de seconde lambda de séances de deux heures d’interdisciplinarité (Lettres, HG et sciences-physiques) avec la présence des trois enseignants et de la CPE en charge de la classe pour traiter de sujets larges et variés. Ces séances sont complétées par une heure hebdomadaire consacrée aux techniques oratoires et prise en charge par le professeur principal (au titre de l’accompagnement personnalisé) en co-intervention avec la CPE. Ce dispositif ne pèse pas sur l’emploi du temps des élèves puisque chaque discipline, sur son temps de service, contribue à raison d’une demi-heure par semaine aux deux heures d’interdisciplinarité. A partir de 2021 DECLAM s’inscrit dans un LéA-IFÉ et l’accompagnement par la recherche nous a permis de définir précisément quelle est la nature de ce dispositif (voir l’article de blog “DECLAM : un dispositif“)

L’objectif que se donne le dispositif DECLAM est donc double : une ouverture plus grande sur la culture et les connaissances au moyen de l’interdisciplinarité et en second lieu une place prépondérante accordée à l’oral, à la prise de parole dans toutes ses déclinaisons (présentations collectives, individuelles, discours, argumentation, oral scriptural, écrit oralisé, discours …). Dans le contexte d’un établissement où dominent des catégories socio-professionnelles moyennes ou défavorisées (IPS 101,4 en 2022 – 2023) ce dispositif vise également à redonner confiance aux élèves : en eux et en l’école.

Au départ : une « frustration »

« L’année DECLAM » se décompose en une série de séquences dont les thèmes se répartissent entre arts et culture, sciences et culture scientifique, monde du vivant et société. A l’intérieur de ce dernier thème nous plaçons au cœur de l’année la question des religions, des pratiques religieuses et de la laïcité. C’est à ce point précis que sont apparus les cercles d’étude. En effet nous sommes constamment à la recherche de nouveaux moyens pour permettre une prise de parole plus efficace et plus « consciente » dans le double objectif que se donne le dispositif.

Aborder une question « vive » à l’oral est toujours un exercice délicat. Il interroge la conduite du groupe, la place de l’enseignant et la gestion de la prise de parole. La posture de contrôle en ce cas est souvent le réflexe. Ce contrôle peut passer par une « normalisation » du débat, une transformation de l’expression en « exposés » après lesquels la discussion prend très peu de place. C’est de là que venait notre frustration.

« Avant l’utilisation des cercles d’étude comme outil de travail, d’apprentissage, les élèves travaillaient en groupe ; recherches, prises de notes, élaboration d’un diaporama, puis exposé à la classe. Les différentes religions et pratiques étaient ainsi présentées à toute la classe. Le savoir était descendant, pas d’échanges entre élèves. Après plusieurs années à essayer d’apporter des modifications dans la manière de faire travailler les élèves, puis dans la manière de présenter le travail à la classe, le bilan restait insatisfaisant.

Il me manquait quelque chose. Je souhaitais que les élèves puissent échanger entre eux, puissent prendre la parole, confronter leurs idées pour élaborer en commun un nouveau savoir. A.L. »

D’autre part l’exercice du débat normé ou de l’exposé renforce les inégalités entre les élèves, en effet on observe que ceux qui sont les plus « à l’aise », les plus outillés (langage, capacités d’analyse et de réflexion à l’oral) sont ceux qui « parlent pour les autres » au mieux, « à la place des autres » au pire.

« Cependant ces occasions de donner la parole aux élèves sur des sujets de société sont souvent décevantes, dans le sens où ce sont les élèves à l’aise avec l’oral spontané et capable de mobiliser des connaissances déjà acquises de manière personnelle qui participent le plus ; en quelque sorte lors de ces débats organisés, ce sont les élèves qui ont une bonne estime de leur capacité à prendre la parole et des éléments culturels déjà construits qui bénéficient de ce moment d’apprentissage. […] Même en construisant des situations d’apprentissages et d’échanges avant les prises de parole où tous les élèves sont censés lire des articles, documents, regarder des vidéos ou écouter des audio sur le thème abordé, la prise de parole n’est pas aisée pour certains, ou alors ce sont des prises de parole qui paraphrasent les documents analysés. M.G. »

Dans le carde de l’enseignement disciplinaire cette même frustration revient, en particulier en Histoire-Géographie.

« C’est souvent ce dernier point [la laïcité] qui concentre les questions les plus débattues. Dans ma discipline, l’Histoire-Géographie et son corollaire l’Education Morale et Civique, cette question n’est majoritairement abordée que sous l’angle historique ou législatif et, il faut le dire, ce sont des « biais ». Il est difficile de faire intervenir le vécu ou l’expérience personnelle autrement que par des questions d’élèves spontanées et parfois déstabilisatrices ou bien dans des débats normés, après éventuellement des recherches ou un décentrement vers d’autres régions du monde. Ainsi l’individu et son vécu sont artificiellement maintenus au dehors par l’exercice d’une stricte neutralité. Y.L. »

Le cercle : de l’expérimentation à la formalisation d’un dispositif pédagogique et d’un outil transférable.

Le travail avec la recherche dans le cadre de notre LéA-IFÉ a été d’emblée une expérience de collaboration sur un objet d’étude : notre dispositif et sa définition précise et le gain qu’il pouvait représenter pour les élèves. L’oral, au cœur du dispositif DECLAM, participe à donner sa cohérence au groupe classe mais aussi à renforcer les élèves dans leur estime d’eux-mêmes. Nous insistons beaucoup sur la notion « d’échanges » dans ce cas. Par ailleurs le lieu dans lequel se déroulent toutes nos séances est particulier : c’est une grande salle flexible qui permet de changer le rapport à l’espace et les rapports dans l’espace. Elèves et enseignants tissent une nouvelle géographie de la classe. Après une année d’observation la séquence sur les religions a été identifiée comme celle qui pouvait donner lieu à l’expérimentation d’une nouvelle forme de prise de parole : le cercle d’étude.

Le cercle d’étude quant à lui est ancien, il date de la fin du 19^ème siècle et est apparu en Suède, il est d’abord un outil de réforme morale et sociale (lutte contre l’alcoolisme et pour la tempérance) puis devient rapidement un outil d’éducation populaire et de démocratie participative (Kaplan 2009). Il est également très utilisé dans la formation pour adultes (– la coopérative pédagogique – CNFPT 2012). En revanche aucune trace d’utilisation au sein de l’école.

Le principe en est simple : tous les participants sont réunis en cercle sans que rien ne puisse remplir l’espace entre eux. La parole est libre, l’opinion personnelle ou la référence à l’expérience personnelle possible et chacun peut donner son sentiment sur la question posée, la notion discutée. L’objectif est de construire des connaissances et un savoir commun. Une expression revient régulièrement en ce qui concerne les cercles : « apprendre de tous ». L’enseignant reste la personne référente au savoir sans pour autant l’asséner au groupe. Il laisse la parole se déployer.

La mise en place des premiers cercles : le dispositif

Après une phase de discussion avec les chercheurs les premiers cercles sont mis en place.

– Le support de la discussion :

L’outil proposé par l’association Enquête : nous disposons de trois « activités » composées de questions ou d’affirmations qui permettent d’aborder les pratiques religieuses, les notions de « croire » et « savoir » et enfin la pratique de la « laïcité » au quotidien. Ces activités sont doublées d’un ensemble de fiches destinées aux animateurs. Elles fournissent tous les éléments de connaissance formels (historiques, sociologiques, théologiques, institutionnels…) sur les religions.

Pour chaque atelier proposé par Enquête, les questions ou les affirmations sont organisées de manière à conduire la réflexion vers un des enjeux centraux du thèmes. Par exemple, pour l’atelier « croire et savoir » la dernière affirmation est « Il y a un Dieu qui a créé le Monde ». Les affirmations précédentes ont conduit à s’interroger sur la démarche qui conduit au savoir et celle qui est à l’œuvre dans la croyance. Sur cette dernière affirmation chacun peut donc argumenter autour des termes à partir de ses connaissances et son expérience. [Verbatims d’élèves – cercles filmés]

– Organisation matérielle

Nos cercles d’étude sur les religions, les pratiques religieuses et la laïcité ont été organisés de la manière suivante : la classe – 24 à 28 élèves – est divisée en deux groupes, deux adultes animent le cercle. La salle flexible que nous occupons est l’endroit idéal. Tout en étant isolés pour les discussions les deux groupes peuvent évoluer en fonction des activités, de même que les animateurs peuvent facilement permuter, observer… Les échanges sont filmés ce qui permet de revenir sur le contenu avec les élèves et entre nous.

Une parole qui « circule » plus

Ce qui ressort de notre première expérience c’est une plus grande circulation de la parole.

« En nous appuyant sur le travail de l’association Enquête, qui a élaboré un outil basé sur 4 ateliers autour de la laïcité, de la religion, des pratiques, nous avons expérimenté ce nouveau mode de travail.

Cet outil permet de faire travailler les élèves ensembles, par la prise de parole.

Les échanges sont basés sur l’écoute des autres, la bienveillance, les élèves confrontent leurs idées, leur savoir, ils réfléchissent, s’interrogent. A.L. »

« Lors de la première expérience du dispositif de discussion en cercle sur le thème des religions avec les collègues de la classe DECLAM, il m’a semblé évident que la parole circulait plus naturellement et que le nombre d’élèves qui participent était plus grand.

Le thème des religions a peut-être été le déclencheur de ces prises de parole, aussi les questions posées grâce au guide de l’association En Quête qui permettent une véritable réflexion personnelle et collective basée sur les paroles de tous et de chacun. Il s’avère que cet outil nous a permis en effet de construire des discussions entre élèves à partir de leur connaissance propre, mais aussi attachés à leurs expériences personnelles et à leur vision du monde. M.G. »

« Chacun peut intervenir, réagir à la question posée avec « ce qu’il est », c’est-à-dire de manière savante, sensible, avec ses connaissances, ses erreurs, ses préjugés. Y.L. »

Un premier effet constaté sur les élèves : une autorégulation et une meilleure attention

En dehors de cette circulation plus complète de la parole nous avons constaté d’autres effets directement liés au principe des cercles. Ces éléments sont en particulier associés à la régulation du débat lorsqu’il survient. Le fait de coanimer les cercles (deux adultes par cercle) permet d’observer et de croiser ces informations recueillies après le visionnage des vidéos.

« La régulation se fait aussi très souvent par les élèves qui rebondissent sur les propos tenus. A.L. »

« En effet lors de ces cercles, des élèves ont pu être amenés à nier la scientificité historique ou à affirmer la réalité de ce qu’on pourrait appeler des superstitions, or ces interventions ont toujours éveillé chez d’autres élèves des interventions équilibrantes et surtout un questionnement permanent. En quelque sorte, laisser la possibilité à chacun d’affirmer dans un « cercle » « sa vérité » permet aux autres élèves de discuter cette « vérité » de manière rationnelle. M.G. »

L’écoute est au centre et la qualité de l’attention que nous obtenons est souvent meilleure que dans une situation « classique ».

« Surtout j’ai constaté qu’aucun élève ne pouvait faire autre chose qu’écouter celui qui parle ou bien parler à ceux qui écoutent, je veux dire que cette activité pédagogique ne permet à aucun élève de penser à autre chose qu’aux savoirs qui sont au centre de la discussion. Qu’ils aient quelque chose à dire ou non, qu’ils connaissent déjà des choses ou non, qu’ils aient un avis ou non, ils sont tous amenés à réfléchir et à écouter, et c’est en cela qu’il me semble important de développer ce dispositif au sein de nos classes. M.G. »

Les cercles font sens

Après les cercles d’étude sur les religions deux échéances viennent consolider l’expérience des cercles : les élèves animent deux cercles d’études à une classe de quatrième et dans un second temps tous visitent ensemble trois lieux de culte (Mosquée, Synagogue et Cathédrale) à Lyon en compagnie d’une association Les racines de demain.

Les retours que nous font les élèves sur cette séquence permettent de donner un aperçu des effets du dispositif.

« C’était super bien car je n’étais jamais rentrée dans une synagogue, j’ai appris beaucoup de choses. Et les cercles d’étude c’était bien parce qu’on pouvait parce qu’on pouvait dire tout ce qu’on voulait, du coup ça nous permet de nous exprimer avec le respect des autres. »

« Le cercle d’étude était intéressant et j’ai appris beaucoup de choses, et les cercles avec les collégiens c’était amusant. J’ai beaucoup aimé débattre avec eux. »

« Les cercles d’étude c’était bien car ça m’a appris des connaissances et quand il y avait des élèves j’ai pu travailler mon oral ».

On constate avec cette dernière remarque que l’objectif des cercles ne se résume pas aux connaissances mais également à la pratique de l’oral qui est le cœur de notre dispositif DECLAM. A mesure de l’avancement du dispositif nous allons continuer à recueillir les retours des élèves.

Le sens est aussi celui que nous décelons dans la construction des savoirs pour les élèves, ce qu’ils expriment plus haut est résumé par l’un d’entre nous, du point de vue de l’enseignant :

« A une période où les réseaux et leurs algorithmes enferment leurs utilisateurs dans des « bulles de filtres » et empêchent la construction démocratique des rapports humains, à une époque où les adolescents construisent leurs opinions à partir de ces réseaux qui leur proposent des opinions proches des leurs, ces cercles sont des bouffées d’oxygène qui obligent chaque participant à entendre les avis des uns et des autres, de comprendre non seulement que d’autres opinions existent mais surtout de comprendre comment se sont construites ces opinions et ceci grâce aux relances et aux questionnements de l’enseignant qui dirige le cercle. M.G. »

Une nécessaire formalisation pour ensuite former

Après deux années d’expérimentation nous nous sommes posé la question d’une diffusion des cercles. Ce n’est pas uniquement la question des religions qui importe ici mais la formalisation d’un dispositif pédagogique qui puisse outiller les collègues qui le souhaiteraient.

Les cercles d’étude peuvent s’imaginer dans toutes les disciplines soit en première intention pour aborder une question ou une notion soit comme outil de partage de connaissance sur un sujet, un domaine. Dans certains cas les cercles sont utiles dans le cadre d’une prise de décision collective (Kaplan 2009).

« Depuis quelques années, je donne la possibilité à mes élèves de prendre la parole lors de débat organisé dans mes cours de français sur les séquences notamment liées à l’argumentation.

De plus, en enseignement de Spécialité HLP[1], le débat d’idées est une entrée pédagogique assez évidente au vu des sujets abordés dans les programmes. M. G. »

« Le thème des relations entre État et Religions en HGGSP[2], celui de la Démocratie également se prêtent particulièrement aux cercles d’étude. En effet les documents d’accompagnement du programme insistent sur la nécessité d’aborder les thèmes par des activités différentes. Les cercles d’études m’ont permis d’aborder des notions complexes comme celle de la sécularisation. Y. L. »

Ces constats d’une part et d’autre part notre expérience avec les collégiens mais aussi des élèves de CM1 dans le cadre d’un cercle d’étude sur le genre nous ont convaincu d’élaborer une fiche pratique pour la mise en œuvre d’un cercle d’étude. Ce qui a présidé à notre réflexion c’est la formalisation du dispositif pédagogique pour atteindre un objectif de partage de connaissances et d’expression à l’oral plutôt qu’un simple transfert d’activité. Cette fiche a fait l’objet d’une publication sur le blog des LéA-IFÉ (voir l’article “LéA DECLAM / Une fiche-ressource pour co-construire savoirs et connaissances : Le cercle d’étude“)

Chacun peut ainsi s’emparer de cet outil et l’utiliser au profit de sa situation pédagogique.

Nous commençons également à former des collègues du lycée, de collège et de primaire au dispositif. Cette formation conçue en interne s’adresse pour l’instant aux établissements du secteur du lycée qui collaborent avec le dispositif DECLAM (Ecole primaire et collège). Nous avons pour cela imaginé trois formats d’intervention qui peuvent être autonomes ou se succéder :

– Un format très court sous forme de diaporama, 5 à 10 minutes, pour présenter et sensibiliser à cet outil, il a été expérimenté dans le cadre d’une réunion de constellation avec des collègues de premier degré autour de l’oral.

– Un format moyen, 20 à 30 minutes, à partir d’extraits vidéo de cercles qui présentent trois moments différents et à la suite desquels les postures sont questionnées.

– Un format sur une heure qui permet l’organisation et l’expérimentation d’un cercle pour ensuite en extraire les incontournables.

Qu’est-ce que cela a changé ? Posture et engagement

Les cercles sur les religions et la laïcité en seconde sont filmés. Les vidéos permettent une analyse plus fine de nos interactions avec les élèves pour chaque affirmation et sur l’ensemble des cercles. Au mois de mai 2023, une des séances a fait l’objet d’un travail d’auto-confrontation et d’analyse croisée. Il ressort que nos postures varient entre une neutralité exclusive et une impartialité engagée

Mais au-delà de ce que la recherche peut faire émerger (voir la communication à la 13^ème rencontre internationale des LéA-IFÉ du 26 mai 2023) il est important de revenir sur ces changement qui relèvent du « sens » que nous donnons à notre profession à notre engagement.

« Comme animatrice du Cercle, je régule la parole si nécessaire, j’accompagne dans le questionnement, je permets que tous s’expriment. (J’aime bien cette posture d’accompagnement plutôt que celle plus académique de représentant d’un certain savoir.)

De notre poste d’observateur, il nous semble que chaque élève est impliqué dans ce qui se dit, se confronte, se débat au centre du Cercle. Pas de table pour se cacher, le visage est offert aux autres, sa parole, sa connaissance. A.L. »

La présence de l’adulte se recentre donc sur l’être, le cercle fait « tomber le masque », l’emploi du mot visage ici renvoie sans équivoque à la pensée de Lévinas: « Le langage conditionne ainsi le fonctionnement de la pensée raisonnable : il lui donne un commencement dans l’être, une première identité de signification dans le visage de celui qui parle, c’est-à-dire qui se présente en défaisant, sans cesse, l’équivoque de sa propre image, de ses signes verbaux » [3] .

Ce n’est pas la volonté de mettre en œuvre une formation ou des lectures personnelles mais plutôt l’apparition d’une congruence entre l’image et la représentation du rôle de l’adulte dans le cadre de cette situation. C’est suffisamment rare pour être relevé.

« Cette façon de travailler me satisfait pleinement car elle met en action les élèves, qui par la prise de parole, réfléchissent, individuellement et collectivement, elle offre à chacun la possibilité de s’exprimer, de s’engager dans la construction de son savoir. Un bel outil d’apprentissage apprécié par les élèves et qui correspond à nos attentes en matière d’éducation. J’ose dire, je peux tout entendre, j’apprends par la parole et par les autres. M.G. »

Ce miroir que tendent les cercles à tous offre la possibilité de la réflexion sur le rôle (accompagner) que l’on y joue. Les élèves eux-mêmes l’expriment avec toutes les difficultés de l’expérience vécue puis transmise.

« Les cercles d’étude avec les quatrièmes étaient un peu compliqués, on était un peu stressés, après ça allait, et au fond ils étaient peu bavards »

Les cercles conduisent également à se questionner sur notre posture et l’interaction pendant le cercle : « même si parfois j’ai pu remettre en cause certaines de mes questions et certaines de mes prises de parole au sein de ces cercles, j’ai pu remarquer à chaque fois le même engouement et la même énergie autour des questions ou des affirmations à questionner. M.G. »

Les cercles nous renvoient à une démarche collective d’apprentissage et cette dimension est fondamentale pour les réflexions que nous avons sur la société que nous contribuons à construire.

« C’est pour cela que le travail de l’enseignant dans la mise en place de ces cercles est une véritable remise en cause de son rôle et de sa place dans la construction du savoir. On peut peut-être rapporter cela à la maïeutique de Socrate mais avec une dimension collective évidente. L’enseignant est celui qui permet la confrontation des idées et des arguments entre les élèves et c’est le garant du respect de toute prise de paroles qu’elle puisse paraitre choquante ou déroutante, les élèves réagissent avec ce qu’ils sont et ce qu’ils ont vécu et le cercle devient un espace de liberté. Les cercles d’étude, c’est faire l’expérience de la construction sociale d’une pensée et de comprendre l’importance de l’altérité dans l’affirmation d’une personnalité. M.G. »

Le mot « expérience » est sans doute un des axiome de notre dispositif. Nous ne tâtonnons plus désormais pour trouver quelque chose, adapter un dispositif, mais faisons vivre une expérience (à chaque fois) aux élèves et aux adultes, qu’ils soient participants ou observateurs.  

Pour conclure l’un des changements majeurs que nous constatons, et en particulier à propos des religions, est la reconfiguration d’un groupe classe, une micro-société, sur un modèle de démocratie directe et participative.

Le cercle se referme. A l’origine pour les adultes, pour une « amélioration » de la société, le cercle a été ensuite utilisé pour des prises de décision collectives, fondées, équilibrées et argumentées. Nous constatons depuis leur mise en œuvre un « basculement » du groupe classe dans un fonctionnement plus resserré. La référence au cercle permet de fonder la parole ou de renforcer les apprentissages qui suivent.

« En tant qu’enseignant, ce dispositif est un véritable pas de côté, même s’il reste le guide et le régulateur des paroles d’élèves, il n’en est plus ni le juge ni l’évaluateur, c’est le groupe – cercle qui devient une caisse de résonance pour chaque pensée qui y est développée, par le questionnement, par la discussion, par les échanges, par l’altérité, la pensée de chacun est passée au tamis démocratique et chacun en ressort plus riche et plus savant, surtout chacun parvient à une autonomie dans la fabrication des savoirs et de la pensée, il me semble que c’est l’essence même de l’éducation dans un pays démocratique. M.G. »

C’est à une véritable transformation que nous avons assisté, nous l’avons observée et vécue de l’intérieur. Il nous serait désormais difficile de faire marche arrière. Au travers de notre dispositif nous donnons et avons conscience de donner aux élèves les clés d’un monde sur lequel ils peuvent agir, au-delà de la forme scolaire.

 

Jonathan KAPLAN. L’autodirection dans les apprentissages coopératifs – Le cas des Cercles d’Étude. Education. Université de Nanterre – Paris X, 2009. Français. HAL tel-00443723v2

 

[1] HLP : Humanités Littérature et Philosophie

[2] HGGSP : Histoire, Géographie, Géopolitique et Sciences Politiques

[3] Emmanuel Lévinas, Totalité et Infini, Le livre de poche, Biblio Essais, Paris 1994 p.22

L’équipe DECLAM : Alexandre DEMURGER, Mathieu GILLOT, Anne LAMBOROT, Yves LEBLANC

 

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