Un projet inclusif et autonome : le ressenti des élèves

Les membres du LéA Collège Pailleron présentent une première analyse de leur travail portant sur l’inclusion d’élèves de Segpa ou d’ULIS dans des classes de 6^ème générale en sciences.

Au sein du projet Sciences, les élèves de 6^ème du collège Pailleron travaillent en “îlots de rationalité” (Fourez, 1997). Les équipes sont mixtes et constituées de 4 élèves : 3 de sixième générale ayant un niveau hétérogène et un élève de SEGPA ou d’ULIS. Une mission est attribuée à chaque élève. Nous faisons l’hypothèse que ce dispositif favorise l’autonomie et l’inclusion. Dans le cadre du travail d’évaluation de ce dispositif présenté lors d’un précédent billet sur ce blog, nous avons mis en place un questionnaire auquel les élèves ont répondu après avoir suivi 4 séances du projet (qui constituent un “thème”), puis en mai après avoir suivi trois “thèmes” du projet.

Les élèves notent de 1 à 5 une série d’affirmations, selon leur accord (1 signifiant qu’ils ne sont pas d’accord, et 5 qu’ils sont d’accord). Les affirmations sont les suivantes : “J’ai aimé les séances du Projet Sciences”, “Je me suis ennuyé(e) pendant les séances”, “J’ai compris les consignes”, “J’ai aidé mes camarades”, “J’ai été aidé(e) par mes camarades”, “J’ai été aidé(e) par l’enseignant(e)”, “J’ai utilisé les aides”.

L’analyse de l’inclusion se fera en comparant l’ensemble des réponses (71 et 54 réponses après les thèmes 1 et 3 respectivement) aux réponses des élèves de SEGPA (8 et 7 réponses respectivement). Cette analyse sera complétée prochainement par une analyse des séances observées, et par le retour des élèves en fin d’année lors du dernier thème consacré à la “transmission du projet vers d’autres classes”. Le faible nombre de réponses impose un traitement statistique adapté, que nous décrivons à la fin de ce billet.  Nous notons seulement ici que cette méthode est basée sur une mesure de distance, notée D, entre les distributions cumulées pour deux groupes (ici, réponses des SEGPA et ensemble des réponses). L’écart entre deux groupes est significatif – dans les conditions qui sont les nôtres – lorsque D est supérieur à 0,30. 

Sur le premier thème, donc en début d’année, les élèves ont tous aimé le projet et ne se sont pas ennuyés.  Ils ont eu le sentiment de comprendre les consignes mais n’ont pas trop utilisé les consignes. Les SEGPA se distinguent seulement dans le fait qu’ils ont plus aimé le projet (D=0,4). Concernant les aides au sein du groupe ou par l’enseignante, les réponses sont très dispersées. Par contre, les élèves de SEGPA n’ont pas eu l’impression d’avoir aidé leurs camarades (D=0,43) ni d’avoir été aidés (D=0,43). Au contraire, ils ont été beaucoup plus aidés par l’enseignant(e) (D=0,52).

Distribution des réponses sur le ressenti des élèves de SEGPA et de l’ensemble des élèves après le premier thème de l’année 2022-23 (la question sur la compréhension des consignes n’a pas été incluse pour des raisons de place)

L’évolution observée lors des réponses au thème 3 est très instructive. Concernant l’appréciation du projet, les réponses dans leur ensemble montrent une évolution négative avec un ennui plus fort. Les SEGPA semblent apprécier un peu plus le projet (D=0,39, mais avec une distribution entre 1 et 5 et un ennui similaire à l’ensemble). La compréhension des consignes est toujours positive pour tous les élèves. Concernant les aides, tous les élèves, y compris les SEGPA, ont le sentiment d’avoir aidé leurs camarades. Par contre, les SEGPA ont eu l’impression d’avoir été aidés par leurs camarades contrairement à l’ensemble du groupe (D=0,45 pic à 4). L’aide apportée par l’enseignant(e) est vécue de la même manière par tous les élèves. Elle apparaît donc bien moins forte pour les élèves de SEGPA (ils avaient tous indiqué “5” au thème 1, et sont maintenant répartis entre 1, 4 et 5). Enfin, les aides outils sont plus utilisées pour le thème 3 que pour le thème 1 (avec un pic qui passe de 1 à 3).

Distribution des réponses sur le ressenti des élèves de SEGPA et de l’ensemble des élèves après le troisième thème de l’année 2022-23, en mai (la question sur la compréhension des consignes n’a pas été incluse pour des raisons de place)

Nous interprétons ces résultats comme une réussite de la démarche inclusive avec des élèves de SEGPA qui se sentent intégrés et aidés sans l’intervention de l’enseignant(e) ; ainsi que de l’autonomie avec des interventions de l’enseignante moins importante dans le ressenti des élèves au contraire des aides-outils qui sont plus utilisés. Le sentiment d’ennui semble être un corollaire de ce travail inclusif et autonome, qui peut être mal vécu par les élèves qui aident le plus dans l’équipe. Il peut aussi être dû à un ressenti général en milieu d’année scolaire. Ces interprétations seront étudiées à nouveau lors du dernier thème de l’année au cours duquel les élèves doivent réaliser un bilan du projet et répondront une dernière fois au même questionnaire. 

• Méthode statistique de traitement des réponses des élèves

Le faible nombre de réponses à notre disposition a été pris en compte par l’utilisation du test de Kolomogorov-Smirnov (KS test) et par une méthode dite de “bootstrap”.

Pour comparer les réponses de deux populations, nous comparons les distributions cumulées (évolution du nombre de réponses supérieures à 1, 2, 3, 4 puis 5). La valeur absolue de la distance entre ces deux distributions est calculée pour chaque valeur (de 1 à 5). La distance maximale est notée D. Cet indicateur D (celui du KS test) est calculé entre la distribution de l’ensemble des réponses et la distribution des élèves de SEGPA pour chaque question et à chaque thème. Une grande valeur de D indique que les élèves de SEGPA n’ont pas eu le même ressenti que les autres. Mais à partir de quelle valeur cette différence est significative ?

Pour le savoir, un total de 10.000 sous-groupes aléatoires de 7 réponses (le nombre de réponses des SEGPA) sont construits à partir de l’ensemble des 70 réponses. L’indicateur D est calculé pour chacun de ces sous-groupes en comparaison avec la distribution de l’ensemble des réponses. Nous faisons ici l’hypothèse (qui est celle de la méthode par bootstrap) que ces sous-groupes constituent des distributions cohérentes avec le groupe dans son ensemble. Or, les valeurs de D pour les 10.000 groupes sont égales en moyenne à 0,25 avec une dispersion (1 sigma) de 0,01 (le résultat est sensiblement le même pour toutes les questions et pour les 2 thèmes ce qui est un élément rassurant sur la fiabilité de la procédure). Ainsi, si l’indicateur D, mesuré entre la distribution des réponses des SEGPA et celle de l’ensemble des réponses est inférieure à 0,26, elle n’est pas statistiquement différente du groupe complet. Si elle est supérieure à 0,30, nous considérerons qu’elle est significative.

• Références

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